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16 mars 2012

La vérité sur Schengen

En promettant, s’il est réélu, de renégocier les accords de Schengen, Sarkozy dénonce l’une des failles majeures de la construction européenne, identifiée par “Valeurs actuelles”… dès 1989 ! Et superbement ignorée, depuis, par tous les gouvernements, droite comprise !

Les campagnes électorales ont ceci d’utile qu’elles permettent de voir resurgir des problèmes qui, sans elles, resteraient sans solution jusqu’à la crise finale. Que Nicolas Sarkozy, en pleine opération de reconquête de l’électorat de droite, ait saisi l’occasion du meeting géant de Villepinte pour menacer de suspendre unilatéralement l’application des accords de Schengen s’ils ne sont pas réformés peut faire sourire eu égard à la chronicité de la question, qui ne doit rien à la conjoncture et tout à la philosophie même de la construction européenne – dessaisir les États de leurs prérogatives régaliennes. Mais le fait est là : l’imminence de l’élection a permis au président de la République de rappeler que, sans le contrôle de ses frontières terrestres, les États parlent dans le vide quand ils prétendent décider qui ou quoi peut pénétrer sur leur territoire. Le “qui” concerne les personnes physiques, visées par le traité de Schengen ; le “quoi”, les marchandises, dont le flux dépend des négociations menées, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, par l'Union européenne. Ès qualités, et à l'exclusion des États qui lui délèguent leur souveraineté...

S’agissant de la convention de Schengen, le président n’y est pas allé par quatre chemins : « Ces accords ne répondent plus à la gravité de la situation, ils doivent être révisés. On ne doit pas laisser la gestion des flux migratoires entre les seules mains de technocrates et des tribunaux. »

L’ennui est que la situation n’est pas devenue grave subitement (elle l’était déjà, en 1985, quand les accords de Schengen furent scellés, presque clandestinement, de manière expérimentale, par la France, l’Allemagne et les pays du Benelux). L'ennui, aussi, c'est que la prise de pouvoir par les "technocrates et les tribunaux" ne s'est pas faite en un jour, mais au fil des traités que la France a ratifiés avec une régularité de métronome, quelle que soit la majorité en place, celle de 2007 comprise – et quels qu'aient été les avertissements de ceux qui craignaient de voir la France privée de son pouvoir élémentaire de dire "non", assimilés, au choix, à des "passéistes" ou à des "pessimistes".

Dès l’origine, en effet, les accords de Schengen (étendus progressivement, à partir de 1990, à l’ensemble des pays européens, puis intégrés, avec le traité d’Amsterdam de 1997, dans le corpus de base des instruments juridiques communautaires) posaient deux principes intangibles :

  1. le report aux frontières externes de l’Union européenne des contrôles qui s’exerçaient autrefois aux frontières nationales, un étranger déclaré indésirable dans un seul pays l’étant théoriquement par tous les autres ;
  2. tandis qu’à l’inverse, un clandestin régularisé par un État devenait ipso facto en règle chez tous ses partenaires…

Géographie oblige, la France a ainsi dû abandonner la garde de ses frontières terrestres (au profit de contrôles ponctuels ou “volants”) et transférer à ses voisins, maîtres des frontières extérieures de l’Union, le droit de décider qui pouvait ou non entrer chez elle. En conséquence de quoi sa position de “cul-de-sac” ne lui laissait que la maîtrise de ses côtes, de ses gares et de ses aéroports. Notre législation sociale apparaissant, dès le milieu des années 1980, comme l’une des plus généreuses du monde, il était clair que la France allait devenir, ipso facto, le réceptacle naturel d’immigrés extra-européens ne sollicitant l’entrée chez nos voisins que pour obtenir un visa valable chez nous…

Dès 1989, Valeurs actuelles osait dénoncer, en couverture, les dangers d’un tel système, et tirait le bilan de ses quatre premières années d’exercice, alors limité au nord-est de la France : « En deux ans, écrivions-nous le 16 mai 1989, les chiffres de l’immigration turque ont explosé dans les départements français frontaliers de l’Allemagne. […] Dans certaines HLM de Strasbourg ou de Mulhouse, le taux d’immigrés est passé de 25 à 70 % en même temps que le Front national s’est s’implanté profondément en Alsace-Lorraine. »

Jusqu’au traité de Lisbonne de 2009 (dit traité “simplifié” puisqu’il reprend l’essentiel des dispositions de la Constitution européenne de 2005, rejetée par les Français et les Néerlandais), les États conservaient cependant deux verrous à leur disposition :

  1. la règle de l’unanimité qui prévalait encore, en matière d’immigration, au sein du Conseil des ministres européen, la quelle empêchait qu’une majorité d’États n’impose à une minorité des politiques contraires à leurs intérêts ;
  2. et surtout l’article II-2 de la convention de Schengen autorisant un État à se placer temporairement en congé du système en cas de menace sur sa sécurité intérieure.

À peine élu, en 1995, Jacques Chirac ne s’était pas privé d’user de cette clause de sauvegarde en restaurant nos contrôles aux frontières pour cause d’attentats terroristes ou, plus ponctuellement, pour faire pièce à l’amplification du trafic de drogue venu des Pays-Bas.

Mais aujourd’hui, tout cela n’existe plus. La règle de l’unanimité a vécu, et les questions de libre circulation des personnes sont passées de l’ordre gouvernemental à l’ordre communautaire. En clair, à la discrétion exclusive de la Commission de Bruxelles, prenant ses directives à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de Luxembourg, laquelle doit pareillement servir de norme aux décisions des tribunaux français, notamment en cas de contentieux avec les immigrés clandestins. Une jurisprudence fondée sur la libre circulation des personnes et une absolue égalité des droits entre ressortissants européens et non européens…

La preuve : voici un an que la France, confrontée aux flux migratoires déclenchés par les révolutions arabes de 2010- 2011, a demandé à Bruxelles l’autorisation de faire comme si la clause de sauvegarde de Schengen existait encore. Et elle n’a toujours pas reçu de réponse…

Sortir de Schengen ? Que la Commission de Bruxelles accepte de "discuter" d'une révision éventuelle des accords de Schengen ne signifie pas, loin de là, que ceux-ci seront modifiés : il faudrait pour cela que la France soit soutenue par une majorité qualifiée au Conseil européen, mais aussi que le Parlement de Strasbourg entérine la réforme, en vertu du principe de codécision!

Quant à jouer la crise en pratiquant, comme le général de Gaulle en 1965, la “politique de la chaise vide” pour défendre le principe de la règle de l’unanimité, voilà qui semble inimaginable. Nicolas Sarkozy n'a cessé, depuis 2007, de plaider en faveur de la règle de la majorité, "seul moyen de faire avancer l'Europe ”. Et conteste à François Hollande le droit de renégocier les derniers accords sur l’euro… afin de ne pas remettre en cause la parole de la France. 

Éric Branca

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