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30 avril 2013

Comment la France est devenue un asile de fous !

Frédéric Melki, 52 ans, a créé en 1993 un cabinet d’experts en écologie spécialisée dans la biodiversité. A l'heure où le gouvernement préconise un "choc de simplification", il témoigne des pesanteurs administratives qui entravent le développement de son entreprise, et du sentiment d'insécurité généré par l'instabilité juridique. 


 

Quelle est votre activité ?

Je suis PDG de Biotope, une entreprise de 250 personnes implantée à Montpellier et dans 17 villes de France. Nous aidons l’Etat, les collectivités et les entreprises à prendre en compte la dimension environnementale dans leurs projets de développement.

Quelles sont les obligations administratives auxquelles vous ou votre entreprise sont confrontés ?

Elles sont innombrables et consomment un temps fou... mais avant de les évoquer je voudrais insister sur le phénomène des “effets de seuil”. A chaque fois qu’une entreprise franchit une étape dans sa croissance, les obligations administratives deviennent plus lourdes et plus nombreuses. Dès qu’elle atteint 10 salariés, elle doit organiser l’élection des délégués du personnel. Bon, ça, c’est encore gérable. A 50 salariés, le nombre de délégués du personnel augmente et elle doit créer un Comité d’entreprise, qu’elle doit financer. Les charges sociales augmentent, aussi... Mais là, disons que ça va encore. A 200 salariés, vous devez en outre créer un Comité Hygiène et Sécurité, bien distinct du Comité d’entreprise. Rappelons que les délégués du personnel peuvent cumuler jusqu’à 30 heures de délégation par mois pour leurs activités, et que ces heures sont rémunérées par l’employeur. Pour ce qui nous concerne, nous fonctionnons avec 12 délégués du personnel et 10 membres du Comité d’entreprise.

Oui mais une entreprise de 250 personnes est de taille à faire face à ces obligations ?

Pas tant que ça... Par exemple, Biotope a 17 établissements en France. Ce qui confine parfois au cauchemar : par exemple, nous sommes tenus de mettre cinq documents réglementaires à la disposition des salariés: convention collective, livre unique du personnel, le plan "seniors", le plan "handicapés" et le plan "égalité hommes-femmes". Au lieu de faire imprimer 17 exemplaires de chacun des documents, nous avons demandé à l’inspection du travail de mettre ces documents sur l’intranet, par raison d’économie et de praticité. Refusé...

Encore une fois, une entreprise bien structurée peut faire face à ces obligations ?

Oui, mais c’est l’accumulation de ces obligations, leur complexité et leur instabilité qui posent problème. Tenez, rien que notre dossier de demande de Crédit-Impôt-Recherche mesure 30 cm de hauteur tellement les pièces nécessaires sont innombrables...Ce n’est pas une façon de parler, c’est la réalité : le dossier mesure 30 cm de haut !

Et ce dossier doit être remonté tous les ans! Autre exemple avec le Crédit Impôt Compétitivité Emploi : c’est une excellente mesure, bien sûr, mais pourquoi avoir créé une usine à gaz pour faire en sorte que les entreprises finissent par obtenir un remboursement de charges... Alors qu'il aurait été si simple, tout simplement, de réduire leurs charges ! D’autant plus que si le dossier est mal monté, l’administration peut nous réclamer un trop perçu... C’est le deuxième point noir : l’insécurité juridique. Au fond, nous ne savons jamais si ce que nous faisons est légal ou pas.

Nous avons l’impression de bien remplir les formulaires, de bien déclarer nos impôts, de bien monter les dossiers, de tout faire comme il faut... Et soudain l’administration ou la justice considèrent que notre requête n’aurait pas dû être acceptée, ou que notre dossier est en fait mal monté, ou que nous n’avons pas rempli comme il le fallait les différents formulaires fiscaux. Résultat ? Des aides qu’on nous demande de rembourser, des redressements fiscaux, des subventions à rétrocéder... Alors qu’on avait l’impression d’avoir tout fait en règle ! C’est devenu si aléatoire que nous avons dû par exemple rendre 50.000 euros à l’Etat sur notre Crédit-Impôt-Compétitivité-Emploi! Là encore, l’effet de seuil joue, puisque lorsque l’entreprise grandit, le mode de calcul des impôts, des charges et des taxes peut changer sans qu’on s’en rende compte ! En 2009, nous avons ainsi fait une erreur suite à un dépassement de seuil : encore 50.000 euros à régler...

Mais enfin, excusez-moi de reposer la question pour la troisième fois, une entreprise de 250 personnes est suffisamment équipée pour faire face à ces obligations, faire de la veille législative, suivre les dépassements de seuil...

Nous le sommes mais ça ne suffit pas ! Figurez-vous que j’emploie 10 personnes rien que pour ces questions administratives ! Trois personnes aux Ressources humaines, 6 personnes à l’administration et à la comptabilité, et moi-même, puisque je participe souvent et activement à ces tâches !

En principe, ce n’est pas votre rôle ?

Ah je suis bien d’accord avec vous ! Seulement voilà, souvent, trop souvent, les dossiers sont si complexes qu’ils remontent jusqu’à moi ! Et même s’ils sont “normaux”, je les surveille du coin de l’oeil, pour que tout se passe bien... J’ai l’impression de le plus être Président-directeur-général, mais directeur juridique ! En fait, je consacre 2 à 3 jours par mois aux tâches administratives. Par exemple, rien que l’an dernier, j’ai dû gérer un contrôle fiscal, un contrôle Urssaf, une élection des délégués du personnel, et un contrôle très tatillon d’un inspecteur du travail. Le contrôle Urssaf a duré 2 mois, le contrôle fiscal 3 mois. Un tel contrôle nécessite une journée par semaine de mon temps. Pendant trois mois, donc.

Par exemple, un jour j’ai passé huit heures à chercher un justificatif de 1998 dans nos archives... Pour les élections des représentants du personnel, il faut s’y préparer trois mois à l’avance, écrire à chaque syndicat -même s’il n’est pas implanté dans l’entreprise-, attendre leur réponse, organiser avec eux la réunion définissant le déroulement des élections, attendre encore une semaine, recevoir les listes électorales, afficher les listes, prévoir les bulletins de vote, et organiser les élections le jour J, avec urnes et isoloir...Il faut aussi ouvrir un compte spécial à la Poste pour pouvoir recevoir les votes par correspondance... Je vous ai dit que je consacrais 2 à 3 jours par mois aux tâches administratives... En fait en vous parlant j’ai l’impression que je passe la moitié de mon temps à ces tâches !

Si vous aviez un rêve ?

Le “choc de simplification” promis par François Hollande, bien sûr, mais aussi et surtout la sécurisation juridique : une entreprise ne peut pas vivre en gérant en permanence l’aléas juridique. Elle ne peut pas passer son temps à se demander si elle a bien monté tel dossier, bien rempli tel formulaire, si elle avait raison de déduire telle charge dans telle déclaration... Et constater ensuite qu’elle se fait condamner ou redresser alors qu’elle pensait avoir tout fait comme il le fallait. L’insécurité juridique nous fait travailler sur des sables mouvants. Un exemple: la loi dit que les ruptures conventionnelles entre salarié et employeur ne sont pas susceptibles de recours. Vous pensez que ça en a empêché certains de saisir les Prud'hommes? Non seulement ils les ont saisis, mais cette démarche a été jugée recevable et le comble c'est que les Prud'hommes ont condamné l'employeur!

Souvent, la loi et les décrets semblent clairs. Mais la jurisprudence peut aller dans un sens différent. Du coup, aujourd’hui, quand nous nous demandons si tel acte est légal ou pas, nous ne lisons même plus le code correspondant : nous allons directement prendre connaissance de la jurisprudence...Souvent, nous agissons en nous disant que nous avons bien appliqué la loi, consciencieusement et sérieusement. Et à cause de l’aléa juridique, lors de procès ou de procédures, nous nous rendons compte que ça n’a servi à rien, tant le décalage est grand entre les lois et leur interprétation par les juges. Mon rêve? Simplification, sécurisation et stabilisation.

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