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12 janvier 2015

La crise de la démocratie ne sera pas réglée par une marche républicaine

"Ne nous leurrons pas, en effet. Contre le terrorisme, l'émotion, la compassion, l'indignation ne sauraient suffire. Pour gagner, contre les soldats du califat, cette guerre que l'on se décide enfin à nommer, il faudra surtout du courage, de la force et de la détermination. Ce sera long, difficile et douloureux. Rien ne serait pire que de voir les Français et leurs dirigeants, cédant au vertige de la contemplation de soi, aux délices du narcissisme médiatique, s'enivrer au spectacle de la mobilisation d'hier pour retomber demain, comme après l'affaire Merah, dans ce déni et cet aveuglement auxquels nous avons longtemps, trop longtemps, sacrifié.

Car l'évidence est là. Si dérangeante soit-elle, il n'est plus possible de la nier. Les dix-sept victimes innocentes de ces trois jours tragiques ne sont pas tombées sous les balles d'une abstraction, d'une horreur vague, d'une barbarie indéfinie. Ils ont été lâchement assassinés par des terroristes français, qui sont nés chez nous, qui ont grandi chez nous, qui sont allés à l'école chez nous et dont le parcours criminel (multidélinquance, fanatisation carcérale, embrigadement à l'étranger) correspond point par point à celui décrit depuis des lustres, dans la quasi-indifférence générale, par les experts et les services de sécurité. Ces tueurs ont peut-être des complices. Ils feront sans aucun doute des émules. Ce péril a un nom: islamisme radical. Nous devons de toute urgence le conjurer. [...]

Oui, l'islamisme existe. Oui, il existe en France, comme dans le reste du monde, des groupes violents qui haïssent indistinctement les juifs et les chrétiens, mais aussi les musulmans qui ne partagent pas leur idéologie barbare. Oui, il y a dans nos banlieues, dans nos mosquées, dans nos prisons, des «religieux» qui prêchent la haine de la France et de l'Occident. Oui, il existe chez nous des caches d'armes, des sergents recruteurs pour les camps d'entraînement du Yémen ou de Syrie. Oui, ce terrorisme islamiste s'enracine bien dans une réalité sociale: celle d'un islamisme politique, radical, intolérant, indifférent à la légalité, dont il importe de circonscrire au plus vite les revendications si l'on ne veut pas qu'il fasse chaque jour davantage d'émules. Voilà pourquoi, s'il faut saluer la magnifique mobilisation de dimanche, il faut aussi s'attacher à dissiper certains malentendus potentiels qu'elle emporte avec elle. S'ils devaient s'installer, ils en ruineraient dramatiquement la portée.

Le premier de ces malentendus est d'ordre politique. Penser qu'il suffit de «marcher» contre le terrorisme témoignerait d'une inquiétante inconséquence. Pour faire reculer la menace, il faut agir, et vite. Après les avoir examinés aux prismes des récents événements (une commission d'enquête parlementaire bipartisane s'impose à l'évidence), ce sont des pans entiers de notre législation qu'il faut revoir. Politique pénale, politique carcérale, budget et organisation du renseignement et des forces de sécurité, traitement applicable aux «candidats au djihad», police de l'Internet et des réseaux sociaux, contrôle des imams et de l'enseignement dispensé dans les mosquées… mille questions qui devront être examinées sans tarder dans un esprit de responsabilité. Souhaitons qu'à cette occasion les habituelles polémiques sur la «dérive sécuritaire» et la mise en place «sournoise» d'un État policier nous soient épargnées!

Le deuxième malentendu potentiel est démocratique. Si les leaders politiques qui ont défilé hier en tête des cortèges venaient à penser que les millions de Français qui leur ont emboîté le pas se reconnaissent désormais en eux, ils se tromperaient du tout au tout. La crise de la démocratie représentative ne sera pas réglée par une marche républicaine. La vérité (et en cela la mesquine mise à l'écart de Marine Le Pen par le sectarisme du PS restera comme une grave erreur) est que le peuple est descendu dans la rue pour exiger une détermination et une fermeté dont trop souvent il ne croit plus ses dirigeants capables. Entre les uns et les autres, le fossé reste béant. Or il faudra de la cohésion et de la confiance quand d'autres épreuves viendront.

Mais le malentendu le plus profond serait de croire qu'il suffit d'une bonne police et de bons services de renseignement pour résoudre un conflit qui prend ses racines dans la crise de l'intégration et la rupture de transmission. Comment accueillir «l'Autre» si nous ne savons plus ce que nous sommes, ce dont nous avons hérité et ce que les générations suivantes doivent recevoir? Si nous n'avons pas la fierté de notre passé, de nos valeurs, de notre culture? La France, celle qui a défilé hier, c'est une histoire (judéo-chrétienne, républicaine), une civilisation (égalité homme-femme, tolérance, liberté d'esprit et d'expression), un art de vivre (décence commune, dialogue plutôt qu'affrontement). Le plus grand défi maintenant - le seul, si nous voulons éviter non pas le choc des cultures mais «le choc des incultures» (François-Xavier Bellamy) - est de transmettre ces valeurs aux jeunes de notre pays, quelle que soit leur origine. Leur faire entendre qu'ils ne sont pas obligés d'«être Charlie» mais qu'ils peuvent être fiers d'être Français."

Alexis Brézet

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