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12 janvier 2015

Du déni au devoir de réalité

"J'ai eu la même réaction que Jean-François Kahn - et je ne suis pas le seul -, en écoutant la première déclaration de Marine le Pen qui parlait clairement face à l'embarras de certains hommes politiques à dire que nous étions en guerre et à nommer nos ennemis. Antérieurement, on a voulu essayer de remplacer à tout prix «État islamique» par «Daesh», en expliquant que cela éviterait une «confusion avec islam, islamisme, musulmans». La crainte justifiée des amalgames ne peut servir d'argument pour ne pas regarder la réalité en face, en parlant d'un terrorisme indéfini créé ex nihilo, venant d'on ne sait où et s'abattant sur le pays comme une catastrophe naturelle. Il en va de même des craintes et des allusions constantes à la montée de l'extrême droite en Europe qui «zappent» et évitent le sujet. Sans parler des allusions constantes à la «zemmourisation des esprits», voire au livre de Houellebecq et aux amalgames les plus grossiers de journalistes militants de gauche qui, depuis des années, ont transformé l'antifascisme en posture identitaire et de valorisation dans les médias bien-pensants. Tout cela est dérisoire et lamentable, pour ne pas dire indigne, face aux épreuves que connaît notre pays. Il faut le dire clairement: la reductio a Hitlerium, l'obsession du «fascisme montant» sur le modèle passé sont une forme d'enfermement mental qui se refuse à affronter les nouveaux défis du présent et fait le lit de l'extrême droite. Ce petit jeu propre à une gauche bête et sectaire, qui ne vit que dans un face à face délétère avec ce qu'elle dénonce, a assez duré. L'unité du pays dans l'épreuve et la lutte contre le terrorisme islamiste exige une autre tenue. [...]

Enfin, le refus de tout amalgame, la lutte contre l'islamophobie et la répression des attaques contre les mosquées, comme tous les autres lieux de culte, ne sauraient passer outre des questions légitimes que se pose l'opinion: comment en est-on arrivé à ce que la France soit devenue un pays où l'on tue des citoyens pour blasphème et liberté d'opinion, où l'on agresse et l'on assassine des enfants et des citoyens parce qu'ils sont «juifs»? Comment de jeunes Français convertis à l'islam en sont-ils arrivés à adhérer à l'islamisme radical et à des groupes barbares et sanguinaires? Comment ont-ils pu partir faire le «djihad» dans des pays en guerre et revenir pour apporter la terreur dans notre pays et dans d'autres pays démocratiques?

Répondre à de telles questions n'implique pas seulement de comprendre les situations et la psychologie particulières des «djihadistes» ou de les envisager seulement comme de simples mécanismes sectaires, mais de réexaminer la façon dont depuis des années on a laissé se développer un islam fondamentaliste qui, s'il ne se confond pas avec le terrorisme, n'en a pas moins été souvent le terreau premier des tueurs en question? Ce qui implique d'aborder clairement le délicat problème du financement des mosquées et des imans prêchant un islam intégriste et liés à des pays avec qui nous entretenons de bonnes relations il en va de même pour les discours de haine et l'antisémitisme qui se déploient quotidiennement sur les réseaux sociaux. [...]

Les événements tragiques que connaît notre pays sont une cruelle épreuve du retour de la réalité après des années de déni ou d'édulcoration de phénomènes comme la montée du communautarisme et de l'intégrisme, les nouvelles formes de banditisme, le développement de l'antisémitisme et de l'islamisme radical…, dont les acteurs de terrain ont une conscience aigüe depuis longtemps. Les travailleurs sociaux dans les quartiers, les enseignants dans des classes difficiles, les magistrats, les policiers et les gendarmes, les services de renseignements… n'ont cessé d'alerter les pouvoirs publics. On n'en a pas moins laissé s'accumuler les tensions et les points de fractures en les recouvrant d'une langue de bois sociologisante, de rapports et d'«outils» d'évaluation en tout genre qui se sont montrés globalement impuissants à contrer ces phénomènes délétères. Le chômage de masse n'a rien arrangé. [...] Nous ne pouvons plus en rester à un relativisme culturel et politique qui élude constamment la question de savoir ce qui nous spécifie comme pays et comme civilisation. Un pays qui rend insignifiant son passé se condamne à ne plus inventer un avenir discernable porteur des espérances d'émancipation ; un pays qui ne croit plus en lui-même est ouvert à toutes les servitudes."

Jean-Pierre Le Goff

 

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