Pour l'entrepreneur Lotfi Bel Hadj, il faudra un jour avoir le courage « d'afficher fièrement le halal made in France »


Lotfi Bel Hadj : « Il faudra un jour avoir le courage d’afficher fièrement le halal made in France »Au niveau mondial, le halal représente près de 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel pour 1,6 milliard de musulmans. Il pèsera près de 2 000 milliards de dollars par an en 2025.

Combien représente le marché du halal en France ?

Le marché français du halal est estimé entre 5,5 et 7 milliards d’euros par an – c’est environ deux fois celui du bio avec une croissance annuelle à deux chiffres – mais il est difficile d’obtenir des données toujours précises. Le marché de la viande dans les grandes surfaces est à –3 % quand celui du halal croît de plus de 17 %. Cela tient à l’affirmation des valeurs musulmanes et à l’évolution démographique de la société française. Géant Casino est le premier a avoir saisi l’opportunité il y a sept ans en créant sa MDD (marque de distributeur), suivi par Carrefour. Leclerc et Auchan vendent aussi du halal mais ne font pas de MDD. Ce dernier compte 80 références dans ses magasins. Même les acteurs du hard discount (Leader Price, Ed, Lidl) ont investi le créneau.

A l’export, le premier groupe français à faire du halal est dirigé par un Breton…

De grandes sociétés font du halal à l’export mais ne sont pas fières de l’afficher en raison du débat politique actuel et de la zone de confusion entre le halal et la laïcité. Charles Doux est le numéro 1 de l’exportation de volailles en Europe. En voyant les boucheries halal fleurir dans les années 1970, il s’est rendu à La Mecque pour étudier la façon de le produire pour l’export en Arabie saoudite. Avec près de 800 000 poulets abattus par jour selon ce mode rituel labellisé par l’Association finistérienne pour la culture arabo-islamique (Afcai), il vend ses volailles dans plusieurs pays du Golfe. Emmanuel Macron était récemment en visite dans ses usines. Il a oublié de dire que c’est le halal qui a sauvé la société. Il faudra un jour avoir le courage d’afficher fièrement le halal « made in France », même si cela dérange une partie de notre classe politique, du FN à l’UMP. C’est une aubaine pour nos terroirs comme la Bretagne et nos industries agroalimentaires. Premier pays musulman d’Europe, la France n’ose pas assez attaquer ce marché alors que ses industriels ont une légitimité, un savoir-faire et la connaissance pour le « marqueter ».

Quel est le potentiel de cette industrie au niveau mondial ?

Le halal représente près de 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel pour 1,6 milliard de musulmans. Tous les grands groupes élaborent des stratégies offensives pour rafler leur part d’un gâteau qui, selon les études, pèsera près de 2000 milliards de dollars par an en 2025. La France a une carte à jouer en Europe (marché évalué à 16 milliards de dollars) et dans les pays arabes qui représentent 320 millions de consommateurs potentiels. Mais les principaux débouchés se trouvent en Asie. L’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et l’Indonésie représentent 43 % de la population musulmane du monde, soit 700 millions d’âmes. A titre de comparaison, les juifs sont 14 millions pour un marché du casher évalué à 100 milliards de dollars. Imaginez le potentiel du halal !

Les autres grandes puissances commerciales ont-elles les mêmes problèmes de conscience que la France ?

Le Brésil, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, l’Australie, le Canada n’ont aucun d’états d’âme en matière de commerce, d’autant que le halal n’est pas un marché de niche. C’est plutôt la caverne d’Ali Baba. La France pourrait prendre 10 % de ce marché mondial sans problème. Où est notre diplomatie économique ? Nous n’avons aucun problème pour vendre des armes aux pays arabes. Il faut sortir le halal de la sphère religieuse et considéré qu’il part simplement d’une idée spirituelle.

Outre la viande, les industriels développent de nombreux produits dérivés…

L’imagination des entrepreneurs n’a pas de limite. Nestlé, lié au géant malaisien Jakim, propose dans les rayons des supermarchés de l’eau halal. Labeyrie commercialise du foie gras halal. Pour avoir des produits sur les bons linéaires en Asie, les grandes marques ont intérêt à vendre sous le label halal sinon elles sont reléguées dans l’arrière-boutique. L’Oréal y vend son rouge à lèvres sans graisse animale et ses teintures de cheveux sans alcool, le tout certifié halal. Coca Cola, RedBull, Bounty ou Mars ont aussi obtenu la certification. La pharmacie et la parapharmacie s’y mettent et vendent des produits sans porc ni alcool. Le néerlandais Regenerate commercialise un dentifrice « sans cochon », l’anglais Arkay vend un whisky sans alcool. Hors distribution, l’hôtellerie et le tourisme se mettent au halal, proposant hébergement ou voyage sans alcool et avec salle de prière. Il existe même des sex-shops halal proposant des produits érotiques « conformes » à la charia (huile de massage, gel…).

Pourquoi la France a-t-elle un problème à assumer son halal ?

La société française n’ose pas regarder son évolution dans le miroir. On ne peut avoir fait venir autant d’immigrés de pays différents et penser conserver toujours les mêmes us et coutumes. Le halal a vocation à devenir un produit de tradition française alors que la communauté musulmane dépassera bientôt les 10 millions de personnes. Ce qui prouve, malgré toutes les polémiques suscitées par les politiques, que le système d’intégration français fonctionne plutôt bien. En fait, il y a une majorité silencieuse de musulmans républicains que les médias ne veulent pas regarder. Les nouvelles générations clament leurs droits haut et fort. C’est un témoignage supplémentaire de leur francité. Vous entendez, vous, beaucoup de musulmans revendiquer leurs droits dans les pays arabes ? La plupart du temps, ils ne le font pas car ils sont réprimés.

Selon vous, vous le relatez dans votre ouvrage, les juifs ont sauvé le halal en Europe…

C’est Napoléon qui a organisé cette communauté ; elle est aujourd’hui très structurée en France. Sans le combat des juifs pour le casher, le halal n’aurait jamais pu être accepté. Les musulmans doivent atteindre le même niveau d’organisation. Cela permettra de monter au créneau quand certains politiques instrumentalisent le débat. On nous a notamment accusés d’inonder le circuit de la viande avec les sous-produits de l’abattage en disant que les musulmans ne consomment pas la partie arrière de la bête. C’est faux, nous la consommons. Ce sont les juifs qui ne le font pas. Le halal est en fait abordé avec une arrière-pensée islamophobe.

Les animaux ne souffrent-ils pas plus comme le prétendent certains lobbies ?

Brigitte Bardot ou Franz-Olivier Giesbert nous accusent de faire souffrir les animaux. Je n’entends pas les mêmes critiques concernant les juifs. D’après les études que j’ai consultées, l’abattage rituel fait moins souffrir. Vaut-il mieux être égorgé directement ou être électrocuté avant, comme dans le cas de l’électronarcose ? Celle-ci est obligatoire dans les pays de l’Union européenne sauf pour l’abattage rituel juif ou musulman. Le halal est donc conforme à la réglementation européenne.

Combien coûte la certification ?

Cela varie entre 0,10 et 0,15 centime le kilo. Le casher est beaucoup plus cher.

Pourquoi ce souk des labels ?

C’est en 1994, année où l’islam algérien a ensanglanté notre pays, que Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, a accordé à la grande mosquée de Paris le droit de labelliser halal. Puis l’État a donné son agrément à celles d’Evry et de Lyon, avant que de nombreux certificateurs privés investissent ce créneau sans la moindre réglementation. C’est aujourd’hui le souk des labels et tous les acteurs (industriels, certificateurs, État, Union européenne, diverses organisations musulmanes de France et du monde, savants, politiques) ont leur mot à dire. Les divergences concernent notamment la présence des certificateurs sur le lieu d’abattage, la pratique de l’assommage des bêtes, la production de viande séparée mécaniquement. Derrière ces débats, il y a des arrières pensées mercantiles et politiques. Il faut remettre de l’ordre. Si l’on se met d’accord, le halal pourrait servir de denier du culte musulman pour financer la construction de mosquées.